Note au lectorat


Je vous encourage à laisser vos impressions, réflexions et remarques en commentaire
.
Collecter et comparer les visions et les opinions est la meilleure méthode quant à l'émulation vers le progrès. N'hésitez pas, même si (surtout si) vos opinions divergent de l'esthétique ou du discours que je présente. Je ne publie pas pour recevoir des éloges (pas uniquement) mais plutôt pour progresser en confrontant mes écrits au jugement du lecteur.

dimanche 5 avril 2015

P, L & G


Voici un texte faisant référence à deux grands auteurs de théâtre français. Saurez-vous les démasquer ?

En tout cas, bonne lecture !

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    C'était par un clair matin. Non, plutôt une sombre soirée. Enfin, toujours est-il que la nuit ne venait pas, pas encore. J'occupais mon habituel poste de prestige en cette grande société d'alimentation rapide. Avec un flegme recherché et une diligence toute professionnelle, je servais donc des sandwichs ronds garnis de sauce à travers la fenêtre de mon cabanon.

    Voilà que déboule soudain d'une rue adjacente un homme, grand, vieux et maigre, chauve, emmailloté d'une toge crasseuse et chargé d'une valise et d'un panier ; sous le bras : une chaise pliante. Une corde méchante lui cisaille le cou, et au bout sautille un étrange bonhomme tout en redingote et boutons de manchette. Canne en argent et moustache cirée, monocle et jabot brillant, le tout surmonté d'un chapeau haut de forme un peu écrasé et orné d'une plume de faisan argenté. Rajoutez à cela une couche de poussière blanche et volatile, et composez l'image mentale d'un duo miteux et splendide, confinant à l'irréel.

    L'amené hèle son meneur (bien que ce soit l'amené qui mène la marche en menaçant le meneur de son manche métallique) lequel s'arrête soudain. Puis il se dirige vers ma bicoque d'un auguste pas (quoique poussiéreux). J’ôte ma toque de papier et la calant sous mon bras, je le salue : « Bonne journée à vous monsieur !
— Bien le salut mon brave. Vendriez-vous là de quoi sustenter un homme harassé par une longue équipée ?
— Si fait monsieur, je vends des hamburgers
— Des humburgeurs ?
— Non, des hamburgers.
— Ramburgueurs.
— Hamburger !
— Rabarsargeur !
— Stop  ! Il me semble que cette plaisanterie n'est pas neuve.
— En effet ! Je refuse que l'on nous accuse de manquer d'originalité.
— Alors, voulez-vous un sandwich ?
— Bien volontiers l'homme. »
Puis il se tourne vers la pauvre créature qu'il tient toujours en laisse. « Approche, porc !
— Excusez-moi...
— Oui ?
— Ketchup ou sauce au poivre ?
— La plus chère ! »

    Tandis que je m'affaire à la confection de ce délice adipeux, mon client aboie une série d'ordres à son valet qui s’active à déplier la chaise longue avant de tirer de la valise un parasol en kit qu'il assemble à toute vitesse. J'interroge « Pourquoi êtes-vous couvert de poussière ?
— Cet abruti congénital a jugé opportun de passer sous un échafaudage où des ouvriers ponçaient la façade d’un immeuble pour le rafraîchir.
— Mon dieu, votre habit est fichu.
— Mais non, un peu de soin et il n'en paraîtra rien. Par contre, ce qui m'inquiète, c'est ma savonnette.
— Votre savonnette ?
— Oui, ma montre à gousset. Une véritable savonnette, très rare, très précieuse, à secondes trotteuses. C'est mon pépé qui me l'a donnée. J'ai peur que ces iniques pulvérulences n'aient grippé le mécanisme.
— Vous avez vérifié ?
— Non. Pouvez-vous vous pencher pour voir si vous entendez le tic-tac ? »

    Je me tends par le vasistas et pose mon oreille contre son ventre qu'il bombe à s'en faire craquer le veston. « Je n'entends rien.
— Mon dieu, elle est cassée !
— Ah si, j'entends quelque chose !
— Où ?
— C'est le cœur.
— Merde alors ! »

    En me redressant, ma figure effleura son chapeau et la belle plume qui y est fichée me chatouille les narines. J'éternue brusquement, soulevant un nuage crayeux autour de mon interlocuteur. Il me met un coup de canne. « Idiot ! Vous me salissez encore plus. Et puis, votre haleine est infecte ! » Je pris un air penaud « Désolé.
— Ça ira pour cette fois. »

    Son valet lui présente une cravate propre et lui noue en un geste complexe et malhabile. Puis voilà qu'il le peigne, lui tire ses vêtements pour les défroisser et finit par cirer ses chaussures en usant de son propre vêtement (qu'il a d’ailleurs fort sale). Enfin, il entreprend de brosser de la main les vêtements de son maître. Pendant tout ce manège, l'éloquent ahuri se retourne vers moi. « Si vous saviez mon bon, comme c'est dur de se faire servir efficacement de nos jours. En plus, j'ai perdu mon pulvérisateur et ma pipe. Enfin, j'ai toujours mon fouet !
— Quel fouet ?
— Mais ce fouet… bon sang ! Porc ! Mon fouet ! » rugit-il à l'adresse de son servant affairé.

    L'homme se précipite sur le panier qu'il avait déposé en même temps que la valise et en sort un grand fouet de cuir qui tend avec déférence. Pendant que l'autre s'en empare et s'amuse à le faire claquer, j'achève de confectionner mon œuvre. « Voilà monsieur, un beau hamburger.
— Un beau Spambourger ?
— Non, un beau… Ça va pas recommencer non ?
— Eh bien l'ami, je vais goûter cela de suite »

    Et le voilà qui mastique, et qui en met partout, et que ça dégouline sur le menton. Aucune déférence pour les grandeurs de la gastronomie. Pourquoi personne ne respecte jamais mes créations ? Pendant qu'il mange, il lance négligemment quelques coups de canne à son porteur, le fouet roulé autour du bras. Ayant fini de manger, il le regarde et le frappe de nouveau. « Il n'y a pas d'os dans ce met, porc ! Tu n'auras donc rien à manger ! » J'interviens. « Monsieur, peut-être pourriez-vous lui offrir un sandwich ? » Il me regarde avec des yeux ahuris. « Offrir ? À lui ? De la miséricorde ? Mais voyons, cela fait… oui, presque cent vingt-deux ans que je me fatigue à jouer du knout sur ses épaules. Alors ne me dites pas quoi faire. Si vous avez de la peine pour lui, allez sécher ses larmes. Mais je vous préviens, il vous mettra un coup de pied.
— Alors j'imagine qu'il ne me reste qu'à vous demander de payer, et vous dire adieu.
— En effet. On paye et on se quitte. C'est comme ça que ça se passe sur cette putain de terre. »

    Après un long silence, j'encaisse et mets la main à la tempe pour saluer. « Au revoir monsieur... monsieur ?
— Pozzo. Et au revoir monsieur… monsieur Godin ? Godet ? » dit-il après avoir péniblement déchiffré l’enseigne au-dessus de ma tête.

    Et les voilà qui repartent, l'un menant l'autre, à grand renfort de canne, d'injures et de knout. Je me retrouve comme avant, à attendre. Ça a fait passer le temps, au moins. Quel ennui. J'y suis habitué, mais tout de même. Il faut que je songe à souhaiter son anniversaire à Auguste.
    Mais quel est ce grondement soudain, ce martèlement qui ébranle le trottoir ? Quel bruit ! En voilà de la poussière !

dimanche 22 mars 2015

Le beau jour

Cela fait —trop— longtemps Je brode aujourd'hui autour d'un personnage bien connu d'un certain dramaturge du XXème siècle. Saurez-vous le repérer dans ces fines allusions ?


Bonne lecture !










        Je suis sorti me dégourdir les jambes pour la pause déjeuner. Il fait une chaleur insupportable dans les locaux de la banque, mais dehors une légère brise court les rues. La ville suante sous l'été accueille avec un soupir d'aise ce moment de fraîcheur. Je passe à la boulangerie du coin m'acheter un feuilleté au chèvre, puis je suis vais le manger dans le petit parc, juste en face des locaux de mon administration. Il est agréable d'avoir un peu d'espaces verts dans le cadre urbain. Après une journée passée à entrer des données bancaires, j'aime aller m'y promener quelques minutes. Les odeurs de végétation y sont douces. Je m'assieds sur un banc de pierre et entame mon en-cas. Distraitement, je parcours les alentours du regard. Quelques enfants jouent là-bas sous l’œil vigilant de leurs mères, et un joggeur passe dans un sillage de musique et de halètements. Sur un banc, de l'autre côté de l'allée, une petite dame est assise. Au moins la soixantaine, vêtue d'une robe d'été bleu et blanc épaules nues et d'un chapeau à fleurs piqué de grandes épingles. Collier de perles et bras grassouillets, teint passé et grand sourire. Elle a posé à sa gauche un de ces grands sacs rigides qui s'ouvrent comme un panier, et à sa droite une ombrelle avec une poignée bec-de-cane.

        Je termine mon feuilleté et m'allonge, heureux. La digestion combinée aux doux rayons du soleil qui passent entre les feuillages me convainc de prendre un peu de repos. Il me reste encore vingt minutes avant de retourner travailler. Bien qu'il puisse sembler excitant d'être employé dans un bâtiment regorgeant de liquidités et divers sacs de monnaie, le travail de bureau est le même partout. Des chiffres, des chiffres, encore des chiffres. Parfois, une petite note à rédiger, court répit créatif dans la danse abrutissante de la comptabilité.

        La petite vieille farfouille dans son sac avec application. Je chasse les miettes prises dans ma moustache et l'examine, paupières mi-closes. Elle brandit soudain un petit miroir ouvragé absolument splendide et, s'y contemplant, inspecte soigneusement ses gencives. Ce petit jeu dure quelque temps avant qu'elle ne soit satisfaite. Elle ouvre derechef son bagage et en sort cette fois-ci un flacon brillant. Je ne peux m'empêcher d’ouvrir tout à fait les yeux pour l'examiner. Il semble en cristal et son bouchon est ciselé dans une forme complexe et fluide. Le liquide rouge qu'il contient jette des reflets pourprés dans les plis de l'objet. C'est comme si elle tenait un rubis rutilant au creux de sa main. Elle le débouche et vide son contenu d'un trait, avalant par là même l'éclat flamboyant. Toujours de son sac, elle tire un mouchoir et se tamponne précautionneusement la bouche avant de se passer un bâton de rouge sur les lèvres. Enfin, elle s’appuie sur son dossier et contemple le ciel.

        Je m'interroge sur son origine. D'où vient-elle ? Que fait-elle ici ? Pourquoi une personne si raffinée vient-elle se promener dans ce quartier d'affaires ? J'ai ma réponse lorsqu'elle plonge une dernière fois dans son sac pour y prendre un Mossberg Brownie semi-automatique de calibre 22. Puis elle soupire : « Oh le beau jour encore que ça aura été, encore un » , se lève, et se dirige vers les locaux de la banque.
Voici le creuset où tournent d'hétéroclites écrits, allant de la nouvelle au pamphlet, en passant par toute une gamme de formes littéraires (poésies, saynètes, spicilèges, diatribes, réflexions plus ou moins profondes).


Mon appétit est ─pour le moment─ trop immense pour me restreindre sur la question des genres.