Note au lectorat


Je vous encourage à laisser vos impressions, réflexions et remarques en commentaire
.
Collecter et comparer les visions et les opinions est la meilleure méthode quant à l'émulation vers le progrès. N'hésitez pas, même si (surtout si) vos opinions divergent de l'esthétique ou du discours que je présente. Je ne publie pas pour recevoir des éloges (pas uniquement) mais plutôt pour progresser en confrontant mes écrits au jugement du lecteur.

dimanche 21 décembre 2014

Le Jugement d'Humphray (poésie)




Le rocher était bas, et la marche était haute ;
Humphray siégeait au pic, et jugeait chaque faute
Quand on lui amena un homme mis en cage,
La barbe toute en sang, des lambeaux de chemise,
Et tordant méchamment deux pauvres lèvres grises
Un sourire insolent balafrait son visage.

« Voici, dit le soldat, l'assassin de Campbell
Qui tua douze gens la veille de noël
Et mutilant leurs corps pour en tirer la peau,
Il prit un fil grossier, puis il —seigneur, j'en tremble—
L'aiguille entre les dents, il cousit tout ensemble
Et repartit couvert d'un ignoble manteau. »

L'assistance frémit, et de méchants murmures
Susurrèrent au matin mille idées de tortures.
Le monstre, cependant, demeurait souriant ;
Bien sage il écoutait le récit de ses crimes,
Ne laissant échapper que des soupirs infimes
Qui sur son air joyeux prenaient un ton dément.

Humphray écouta tout, l'air grave et réfléchi,
Demeura sans bouger quand le garde eut fini,
Il accrocha ses yeux à ceux de l'accusé,
Aucun d'eux ne fléchit. On apporta alors
Au bout d'un long bâton l'habit cousu de morts
Et la foule rugit de rage épouvantée.

On y reconnaissait des attributs humains :
Là, le pli d'un nombril, là, au bout d'une main
La longue équerre d'un bras. En façon de dentelle
Des boucles de cheveux décoraient les manchettes.
Dans le dos, ô démons, se trouvait une tête,
Au visage étiré en un pleur éternel.

L'émeute menaçait, mais Humphray se leva,
Descendit du rocher où il rendait la loi,
Alla à la prison, en fit ouvrir la porte.
Pour ne pas les salir, il retira ses bagues ;
Empoigna le tueur, demanda une dague
Et lui planta sa lame en travers de l'aorte.

Tandis qu'agonisait encor pour un instant
L'indigne tas de chairs suffoqué dans son sang,
Humpray parla à tous, fronçant son œil sévère :
« La tempérance n'est pour moi pas un vain mot.
C'est ma famille à moi qui gît sur ce manteau.
Son meurtrier n'est plus, et il était mon frère ».

mardi 16 décembre 2014

Un Manuel (nouvelle)

Un Manuel
 


         Moss, ç'a toujours été mon patron. C'est lui qui m'a recueilli, j'avais douze piges alors. C'est lui qui m'a appris mon métier. Je devais faire comme lui, suivre les lignes pour plier les draps et les couvertures, récurer les toilettes avec l'éponge bleue et la douche avec la verte. Moss, c'est pas un bon gars, mais pas un sale type non plus. Je le vois comme un homme qui a trouvé sa place dans l'univers. Il n'a jamais de doute sur ce qu'il doit, ne doit pas, peut ou ne peut pas faire. Pas comme moi qui ne sais jamais comment saluer les clients, si je dois leur proposer de monter leurs valises ou si je dois m’incliner devant les dames (et à partir de quel standing ?).
         Cet motel, c'est pas un palace, mais pas un boui-boui. C'est propre, chauffé, et il y a de l'omelette au bacon pour le petit-déjeuner. Le client perdu sur cette route désertique n'en demande pas plus. Ça m'a toujours étonné que Moss ait choisi de s'installer dans un coin aussi reculé. Il m'a dit une fois que c'est justement parce qu'il loin de tout que son motel est le vrai paradis. Pour trouver une autre baraque, il faut rouler au moins pendant cinq heures dans un paysage craquelé et poussiéreux. « Pulvérulent, a dit un jour un monsieur très chic arrivé dans une Chrysler couverte d'une pellicule ocre, ce pays est pulvérulent ». Moi je dis poussiéreux.
         Une fois par semaine, y a Jeffrey qui vient nous ravitailler. On a l'eau courante, mais Moss insiste toujours pour avoir une réserve d'eau douce. « Au cas où » qu'il dit. Au cas où quoi ? On a en cave assez pour nous nourrir jusqu'à avoir des cheveux blancs. Enfin, c'est l'idée que je m'en fais. Une grande pièce rectangulaire, creusée à même la terre friable, avec un plancher et des poutres comme dans une mine pour que tout ne s'affaisse pas. Ah, et une porte blindée. Une jolie trappe en métal sous l'escalier, et qui pèse près d'un quintal. Rentrer sans la clé est impossible, à moins d'arracher d'abord la maison de ses fondations. Je me demande pourquoi Moss l'a tellement sécurisée. Comme s'il y avait assez de gens dans le coin pour qu'on craigne les voleurs.
         Malgré notre isolement, on a la télé, la radio, et les gens qui passent nous racontent les nouvelles du monde. Moss ne s'y intéresse pas tellement, mais je reste souvent au bar du salon juste pour entendre les conversations des clients. On a quand même une bonne fréquentation. On est sur la route qui va de Loundown à Villa Melosa. Pas étonnant qu'il y ait du passage. C'est un désert, d'accord, mais un désert qui sépare deux des plus grandes villes de jeu du pays. La moitié de nos clients débarquent en costume de joueur, les poches pleines et l’œil sûr. Des fois y en a qui veulent entraîner d'autres voyageurs dans une petite partie de cartes au bar, « pour passer le temps ». Mais Moss a l’œil. Il veut pas qu'on joue chez lui. Pas question de laisser son gagne-pain se faire plumer ou de subir les dégâts d'un bagarre. Il sait se faire entendre Moss, surtout quand son fusil descend du mur. Le plus drôle, ça reste de voir repasser les mêmes clients quelques semaines plus tard, les joues creusées et la mine basse, avec juste assez de flouze pour se payer la chambre au bout du couloir que Moss réserve pour les traînes-misère.
         Ma vie ici à toujours été bien droite, bien rangée. Jamais une embrouille. Je touche même pas aux filles quand y en a une mignonne qui passe la nuit ici. Moss me surveille. Mais il n'a pas besoin de trop s'en faire. Je sais me tenir. Alors, ce jour-là, je l'ai écouté. Moss est rentré ; j'étais dans le hall à dépoussiérer le lustre. Il m'a dit d'aller à la cave lui chercher un pack d'eau minérale pour le distributeur de l'étage. J'y suis allé, mais au moment de remonter j'ai trouvé la trappe fermée. Verrouillée même. J'ai appelé. « Moss, la trappe est fermée, viens m'ouvrir. »
         Sa voix m'est parvenue étouffée par le battant au-dessus de ma tête. J'ai eu l'impression qu'il s'était couché dessus. Presque sans timbre, il avait la respiration hachée et haletait ses phrases. « La ferme. Si tu sors tu meurs, alors reste en bas.
— Tu plaisantes ?
— Abruti ! Écoute, t'étais qu'un petit clochard galeux que je t'ai ramassé sur le bord de la route, mais aujourd'hui t'es un homme et surtout t'es mon fils.
— J'entends des bruits blizzards. On dirait qu'il y a beaucoup de monde dehors. Laisse-moi sortir, faut bien que je t'aide avec les clients.
— Y'aura plus jamais de clients, tu comprends ? Plus jamais. Alors reste là-dedans, fais pas de bruit, et ne sors que lorsque rester une minute de plus signifiera crever. Si tu n'as plus de flotte, bois ta pisse, si t'as plus de bouffe, mange de la poussière, mais bouge pas de là.
— Moss, ouvre-moi ! je commençais à m'inquiéter sérieusement.
— Pas possible. J'ai avalé la clé.
— T'es complètement dingue Moss, qu'est-ce qui t’arrive ?
— Tu sais, c'est pas normal qu'un fils meurt avant son père. Je vais me battre, comme un chien. Quand j'aurai plus de munitions, il me restera mon couteau, et quand je l'aurai laissé dans les chairs pourries d'un de ces enfoirés, il me restera mes poings. Même s'ils me bouffent les bras et les jambes, tant que j'aurai mes dents, je mordrai. Je vais transformer ces fumiers en bouillie de viande crevée. Alors meurt pas avant moi, t'en as pas le droit.
— Moss ? C'est quoi ce bordel ? On dirait l'adieu d'un gars qui part pour la guerre.
—…
— Moss ? t'es encore là ?! »
         Plus rien. J'ai entendu des coups de feu, et puis des coups, des coups qui résonnaient jusque dans ma cave. C'était comme s'il y avait un troupeau d'élans qui dévastait la baraque. Comme ceux qui ont ravagé ma première maison et piétiné mes parents. Puis le plafond s'est effondré. J'avais raison, il fallait raser la maison pour pouvoir descendre à la cave sans la clé. Les zombies sont plutôt doués dans ce genre de boulot.


         À présent, je suis avec Moss. Comme avant. Rien n'a vraiment changé. C'est toujours mon patron, il m'apprend le métier. Comment mordre la jugulaire, comment retirer les nerfs qui rendent la viande filandreuse. Comment faire sortir la cervelle sans trop endommager le crane. Et comme toujours, il est parfaitement à sa place, il sort pas de son rôle. Le zombie lambda. Je porte un œil bleu à ma bouche. Sa propriétaire est en train de hurler sur le sol pendant que Moss lui ronge la cuisse. Je m'intéresse bien plus aux femmes maintenant. L’œil plie et s écrase sous mes dents. J'ai de la chance, elles sont encore bonnes. Mais selon Moss, ça ne durera pas. Il faudra que j'apprenne à mâcher gencives nues. L'humeur aqueuse dégouline dans ma gorge percée de morsures. Je me penche vers la fille qui vocifère dans son propre sang et lui attrape la tête J'ai perdu quelques tendons durant ma mort, mes mouvements sont un peu maladroits. Néanmoins, j'arrive à me pencher pour lui offrir un baiser passionné, où au lieu de simplement les lécher, je ronge et dévore ses lèvres, arrache sa langue. Je crois que je m'y prends de mieux en mieux avec les filles. Je suis heureux. Je ne m'inquiéterai jamais de l'avenir. Moss sera toujours là pour me dire comment faire.

Voici le creuset où tournent d'hétéroclites écrits, allant de la nouvelle au pamphlet, en passant par toute une gamme de formes littéraires (poésies, saynètes, spicilèges, diatribes, réflexions plus ou moins profondes).


Mon appétit est ─pour le moment─ trop immense pour me restreindre sur la question des genres.