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dimanche 21 septembre 2014

Le Boulevard russe de ma mère (nouvelle)

 
 Elle est fraiche ma nouvelle, elle est fraiche !


Le Boulevard russe de ma mère

          Magnolia Street était un beau boulevard lorsque j'y habitais. Je n'y ai pas vu le jour, mais mes premiers souvenirs y prennent place. Ma mère m'a raconté qu'elle est venue s'y installer quelques temps après ma naissance. C'était un bel endroit, avec des trottoirs aux pavés lisses et brillants encadrant une frange de bitume propre au marquage impeccable. De grands arbres se dressaient dans leurs plates-bandes circulaires, et jetaient une ombre appréciable dans les longs jours d'été incandescents. J'aimais beaucoup ces arbres. Les bourgeons, le givre sur les branches, le feuillage pourrissant qui bordait le sol en automne me servaient de calendrier. Nous vivions dans une minuscule maison en plein centre du boulevard. C'est comme si quelqu'un avait compressé une modeste chaumière entre deux immenses immeubles, l'écrasant et la déformant jusqu'à ce qu'il ne subsiste qu'une mine tranche de bâtiment. Les quelques marches de bois du perron menaient à une porte laquée s'ouvrant sur le hall minuscule. Tout n'était que couloirs comprimés, salons étriqués, charpentes voûtées. Les précédents propriétaires n'avaient sans doute jamais contacté la moindre entreprise de restauration, et rafistolé les dégradations au fur et à mesure qu'elles survenaient, avec une efficacité discutable.

          Néanmoins, la vie m'y était agréable. Je grandis sans incident majeur, et l'absence de père ne me troubla pas outre mesure. Ma mère me choyait plus qu'aucun autre enfant ne l'a jamais été. Puis vint l'âge de quitter la maison. Je partis mener ma vie de mon côté, et ma mère resta à Magnolia Street, dans sa petite maison, trop vide à présent.


          J'arpente les rues de mon enfance. J'ai du mal à reconnaître cette ville. Tout a tant changé. Cela, je le sais, est la faute des russes. Ces maudits slaves ont déferlé sur notre pays par vagues d'immigration successives depuis vingt ans, et maintenant, ils parasitent et gangrènent tout le paysage urbain. J'essuie ma machette couverte de suc sur un buisson. Je distingue derrière une gerbe de hautes tiges la pancarte écaillée de Magnolia Street. Plus loin, une autre pancarte, neuve et bien exposée au sommet un poteau indique Магнолия-стрит. Les chênes et les ormes de mon enfance ont disparu, noyés par une forêt anarchique de mélèzes poussant en tous sens. Ces damnés russes ont tenu à emporter avec eux leur végétation locale, pour ne pas se sentir trop dépaysés qu'ils disaient. Et on a accepté, bêtement. À être trop permissif, on se fait bouffer tout entier. Rageur, je pénètre dans le boulevard en tranchant tout ce qui se dresse sur ma route. 


          J'arrive devant le perron de bois rongé de vers. Des airs de musique moscovite me parviennent d'un des appartements voisins. Je grince des dents, et frappe à la porte. Mon geste a provoqué un grand remue-ménage à l'intérieur, à ce que j'entends. Au bout de quelques secondes, ma mère ouvre, échevelée comme à son habitude.

─ Cosme, mon petit ! Ça fait une éternité ! Entre, voyons.


          Ma mère est toujours aussi belle. J'espère que les racailles du coin ne l'ont jamais importunée. Je la suis à travers ces couloirs familiers. Rien n'a changé. Comme c'est réconfortant ! Cette maison est et restera pour moi comme une bulle protectrice dans ce pays de dingues. Tandis que je m'émerveille sur la permanence de mon cocon de croissance, nous parvenons dans la cuisine mansardée. Là, en revanche, un changement manifeste est visible. Ce changement prend la forme d'un grand et gros homme légèrement vieillissant et barbu assis à la table. Tout sourire, il se lève péniblement en nous apercevant. Je me fige.

─ Maman, qui est-ce ? Un intrus ?


          J'espère secrètement qu'elle répondra par l'affirmative, auquel cas, je pourrais légitimement jeter cet individu dehors. Sa vue m'est désagréable d'emblée.

─ Non mon petit, c'est...
─Attends Julia, la coupe-t-il insolemment, je devrais m'expliquer moi-même.


          Là, je vois rouge.

─ Comment osez-vous couper la parole à ma mère ? hurle-je. Et l'appeler par son prénom ? Cela ne vous suffit pas d'envahir notre pays, encore faut-il que vous envahissiez nos demeures ? Oui, je vous ai reconnu, j'ajoute devant son air surpris, je vois bien que vous êtes un de ces maudits russes !


          L'autre est abasourdi. Ma mère ne dit pas un mot. Je me tourne vers elle.

─ Maman, je suis venu pour voir comment tu allais, et j'ai pu constater que ce quartier n'est plus digne de t'abriter. Je te demande de venir avec moi. Je te trouverai un logement dans le centre de Harrenbourg.
─ Qu'est-ce que tu me chantes mon petit ? Je ne veux pas partir.
─ Enfin, maman, ne me dis pas que tu te sens bien ici. Les alentours sont envahis de russes. Comment peux-tu supporter leur voisinage ? J'ai dû m'armer pour venir ici, dis-je en secouant ma machette, autant par peur d'être agressé que pour avancer dans cette végétation merdique.
─ Justement, je trouve que ces jardins style
taïga sont splendides. Écoute, je ne veux pas partir. Calme-toi, je dois te parler d'une chose importante.
─ Tu m'en parleras lorsqu'on sera dans la voiture.


          Je saisis le poignet de ma mère et fais mine de l'emmener vers la sortie. Le gros homme se trouve soudain devant moi.

─ Deux minutes petit. Tu ne crois pas qu'on devrait...
─ Quoi ? Tu cherches une raclée ? Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu fichais ici.


          Ma mère répond à sa place.

─ Il est venu me rendre visite, et comme cela fait longtemps que l'on ne s'était pas vu, nous avons fait suavement l'amour.


          J'en reste ébahi, comme frappé par la foudre.

─ Mais, mais, vieux dégouttant ! hurle-je en brandissant ma machette avec férocité. Vous allez regretter !
─ Voyons mon garçon, ta mère est assez grande pour faire ce qu'elle veut.
─ La ferme ! Tu feras moins de bruit lorsque je t'aurai coupé la tête !


          Je l'attrape par le col et je lève mon arme un peu plus haut. Deux voix s'élèvent.

─ Non Costia !


          Je suspends mon geste.

─ Qui ?


          L'homme se dégage de ma poigne.

─ Costia. C'est ton nom.
─ C'est quoi ces conneries ?


          Ma mère me prend par le bras.

─ C'est la vérité. Nous voulions t'appeler Costia. Mais peu après ta naissance, nous fûmes obligés de fuir la mère patrie. Ton père était engagé dans le parti contestataire, et les têtes du pouvoir voulaient le voir disparaître. Nous avons été séparés lors d'un raid des brigades, et j'ai fui le pays pour te sauver. Je t'ai enregistré sous un faux nom, mais tu es un russe pur souche Costia, mon petit Costia.


           Je suis cloué. Le vieux (mon père?) me tend les bras.

─ Réjouis-toi mon fils. Tu as retrouvé ta véritable identité en même temps que ton père. Nous serons heureux. J'ai apporté les boutures de multiples essences rares avec moi, ajoute-t-il en agitant un petit sac en papier.


          Je regarde ma mère et mon père. Le cœur me manque, une bouffée d'émotion monte dans ma gorge, et ma vision se trouble. La main qui tient mon arme tremble. Puis je passe à l'action. Je lance ma machette droit sur mon père, lui transperçant la rate, et pendant qu'il vocifère sur le sol, je fracasse la tête de ma mère hurlante contre le coin de la table. Puis je récupère mon tranchoir et décapite soigneusement mon père. Ensuite, je débite leurs corps sur la table, qui par chance, est recouverte d'une toile cirée. Je fouille à la recherche de sacs poubelles, et finis par en dénicher sous l'évier. Je descends dans le jardin mes géniteurs répartis dans cinq sacs bien ficelés, et j'entreprends de creuser une jolie tombe. Une fois leurs morceaux convenablement enterrés, je plante les boutures ramenées par mon père au-dessus, et je repars. 

Non mais !


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Voici le creuset où tournent d'hétéroclites écrits, allant de la nouvelle au pamphlet, en passant par toute une gamme de formes littéraires (poésies, saynètes, spicilèges, diatribes, réflexions plus ou moins profondes).


Mon appétit est ─pour le moment─ trop immense pour me restreindre sur la question des genres.