Note au lectorat


Je vous encourage à laisser vos impressions, réflexions et remarques en commentaire
.
Collecter et comparer les visions et les opinions est la meilleure méthode quant à l'émulation vers le progrès. N'hésitez pas, même si (surtout si) vos opinions divergent de l'esthétique ou du discours que je présente. Je ne publie pas pour recevoir des éloges (pas uniquement) mais plutôt pour progresser en confrontant mes écrits au jugement du lecteur.

dimanche 28 septembre 2014

Le Temps des pieuvres (nouvelle)

Le Temps des pieuvres


─ Docteur, ce n'est plus possible !
─ Oui, bien entendu, je note. Ce-n'est-plus-possible. Continuez je vous prie.

           Le docteur Flumblvb étirait ses tentacules dans son dos pour en détendre les chairs. C'était sa cinquième consultation aujourd'hui, et l'on était vendredi. Il avait hâte de prendre le courant BallFwitz et d'aller se détendre dans les eaux du Fjord de luxe Artacoa. Mais pour le moment, il lui fallait continuer d'examiner ces malheureux. Flumblvb avait beaucoup de compassion pour ses clients. Lorsque l'on étudie la psychiatrie, il n'est pas rare de finir par éprouver une grande empathie envers les défaillants, ainsi qu'ils étaient nommés dans les manuels de l'institut. Le terme « malade » était, sans aucun doute, nocif à la santé mentale du patient.

─ Docteur, vous voyez, je ne comprends pas. Nous avons tout fait pour nous entendre pourtant. Mais rien à faire.
─ Vous souffrez de ce conflit ?
─ Et comment ! Docteur, les poulpes sont connus pour leur pacifisme, leur souplesse et leur ouverture d'esprit. Pourtant, suite à ce malheureux malentendu...
─Vous voulez parler de l'incident préambule à la création du NEMO ?
─ Exactement ! Comment pouvions-nous savoir que leurs coutumes étaient si différentes ?
─ C'est le risque de toute rencontre inter-civilisationnelle.
─ Ce fut une catastrophe. La situation a dégénéré, et les ambassadeurs se sont pris le bec avec ces humains.
─ C'est du passé voyons. Ce n'est pas parce que nous commémorons cette terrible tragédie chaque année depuis deux siècles que...
─Docteur ! La guerre a commencé ce jour-là ! Je ne dors plus. Dès que je ferme les yeux, je me l'imagine. Je vois le sous-marin arriver près de la ville tentaculaire. Je m'imagine les envoyés du gouverneur offrir l'étreinte de l'amitié. Et ces humains, se croyant agressés, qui ont répondu par le fer et le sang !

           Le docteur Flumblvb bailla ostensiblement

─ Je vois cet homme, lui et sa maudite fée électricité, la hache à la main, en train de démembrer nos pauvres camarades.
─ Intéressant, intéressant. Vous n'avez jamais vécu cette scène pourtant ?
─ Non docteur. Je suis né mardi dernier.
─ Bien entendu... J'ai l'impression que vous souffrez d'une psychose sociale contemporaine. Vous avez peur du monde dans lequel vous vivez, et vous vous focalisez selon ce qui, selon vous, est responsable de la déplorable situation actuelle.
─ Selon moi ?! Mais enfin, docteur, c'est évidemment cet événement qui a scellé le noir malheur où nous dérivons.
─ Non, ça c'est moi, désolé. Je fais un peu d'incontinence ces derniers temps.

           Flumblvb agita ses tentacules pour diluer l'encre qu'il venait de relâcher et opacifiait l'eau de son bureau.

─ Si je comprends bien, vous considérez que c'est un malentendu qui est la cause de la guerre inter-espèces actuelle ? Rien à voir donc avec la xénophobie humaine latente, les intérêts économiques quant à l'exploitation des grands fonds et l'orgueil grégaire enviant la domination planétaire.
─ Docteur, je suis absolument convaincu que la création de la Nouvelle Entente de Maltraitance des Octopodes a pour fondateur les héritiers spirituels de cet homme.
─ Hum ? Quel homme ?
─ Nemo bon sang ! Le capitaine Nemo, le fléau des pieuvres ! Celui qui a répandu toutes ces calomnies sur le kraken, celui qui a associé le noble peuple des octopodes à ces détestables calmars.
─ Vous ne seriez pas un peu raciste ?
─ Enfin docteur ! Des gars qui ont dix appendices mobiles dont deux hypertrophiés. C'est pas de gens comme nous !

           Flumblvb jeta un œil au cadran marin qui dérivait près de la fenêtre de corail. Dehors, les rayons réfléchis par l'iceberg jusqu'à la septième profondeur indiquaient que la nuit était tombée. Déjà les riverains fluorescents de 845ème allumaient leurs lumignons organiques nimbant les fonds marins de lueurs opalines

─ Je regrette, mais nous allons devoir achever notre séance.
─ Ah ? Très bien docteur.
─ N'oubliez pas votre coquille en partant. Vous savez, je ne comprends pas pourquoi un bigorneau se sent si concerné par les problèmes des pieuvres. Vous prenez la chose bien plus à cœur que la plupart des membres de notre communauté, moi compris.
─ Franchement docteur, avec la vie lymphatique que nous menons, nous autres gastéropodes, il faut bien se trouver une occupation.


mardi 23 septembre 2014

La Ville de la lune (nouvelle)

Voici un autre texte dans la continuité de mes nouvelles aux titres aléatoires.
Un peu perchée, j'espère qu'il vous plaira. 

La Ville de la lune
          La lucarne laisse passer un rai de lumière bleuâtre qui découpe mon visage émacié. Dans l'obscurité croissante de la réserve alimentaire, je suis immobile, aussi imperturbable et statique que les bidons brillants qui m'environnent. Seule la petite lumière rouge dans mes yeux témoigne que je suis toujours en vie. Mes rétines deviennent le miroir du passé, et un millier de milliards d'hommes s'y relèvent. Je vois au travers de l'espace et du temps ; je visionne simultanément tous les moments multiples et encombrés qui me précèdent. Mon cœur ne bat plus qu'avec une infinie lenteur. Une pulsation pour chaque siècle. J'ai souvent pensé que si l'univers était en expansion, et puisqu'il parait qu'un jour, il effectuera une compression, nous étions au cœur de la pulsation d'un cœur gigantesque, vivant à une vitesse ineffablement supérieure.

          Je n'ai pas conscience d'être autre chose que ce que je ne suis, ni d'être mieux qu'un autre, ou supérieur, et sans doute est-ce parce que je ne le suis pas. Mais ironiquement, c'est cette pensée qui me place au-dessus de mes congénères, vautrés dans leurs préoccupations claudicantes. Nous sommes quelque huit mille personnes à subsister ici. Sur la Lune. Pas celle de la Terre, une autre. Un caillou tournant autour d'une sphère plus grosse, quelque part dans un carrefour reculé du cosmos. Une minuscule boule, même comparée à notre ancienne planète. L'esprit humain, que l'on considère communément comme complexe, est en réalité extrêmement simple. Face au danger, la fuite, face à la destruction, l'exode, face à la mort, la survie. Nous avons fui, bêtement impressionnés par la perspective d'une extinction de notre espèce. Je ne blâme pas mes ancêtres. Ils ont accompli leur existence de la manière qu'ils croyaient être juste, rien de plus, rien de moins. À présent, c'est à moi d'accomplir la mienne. 

          J'allume le petit écran posé sur un tonneau d'eau lyophilisée. L'image vacillante me montre une salle d'audience toute neuve. Un crime commis, et la justice qui ressuscite. Du fin fond de l'esprit où elle s'était tapie toutes ces années, la vieille idée de l'institution des peines correctionnelles s'est réveillée. Alors, que justice soit rendue. La condamnation de cet accusé, c'est la condamnation de l'humain dans son ensemble. L'homme juge l'homme, et je respecterai sa décision.

          Sur le sol métallique, j'ai posé le commutateur. Un boîtier d'où partent des dizaines de câbles. De petits fils de cuivre, insignifiants maillons d'une gigantesque toile, capables de transmettre une impulsion électrique à n'importe quelle extrémité du tressage. Une impulsion qui déclencherait simultanément l'embrasement de petites charges de poudre, que je disperse depuis un an. Un an de labeur, à tirer les câbles, connecter des détonateurs, sceller des poches d'explosifs et torsader des brins de métal. J'attends. Si mon doigt se pose, les poches explosent. Sans causer de grands dégâts immédiats. Mais elles sont fixées aux sas de sortie de la ville. Notre ville lunaire, gigantesque cité spatiale hermétiquement close, implantée sur une petite lune sans atmosphère que nous ne connaissons que vaguement, et sur laquelle nous avons poussés comme un champignon parasite dans l'écorce d'un arbre. Je ne juge pas. Je laisse cela aux fous et aux idéalistes.

          Dans la bouillie des cristaux liquides, une main s'abat, et une voix se lève. Je trésaille. Il y avait peu d'espoir pour que nous nous affranchissions de cette détestable habitude, mais j'espérais secrètent que la manie de condamner nous passerait. Cet orgueil insupportable d'un être qui se permet de juger hors de lui. En appliquant la sentence autant au juge qu'a l'accusé, je mettrai enfin les choses à plat.

          Mon doigt semble hésiter au-dessus du commutateur. Il n'hésite pas. J'ai bien envoyé l'ordre à mes membres d'agir, immédiatement. Pas de répit. Je ne suis pas hésitant. Mon geste se décompose sous mes yeux, et j'appuie.

          Une seconde, et les portes cèdent. L'air de la ville est vidé, comme par un brusque coup de poing dans son ventre. Puis elle cherche son souffle, tente de prendre une inspiration. Mais il n'y a rien à aspirer. Elle suffoque, tousse, et sa bouche ne s'ouvre que sur du vide. Des milliers de bouches s'ouvrent et se referment stupidement, sans comprendre. Les corps se disloquent, s'aplatissent, se désagrègent, explosent en bouquets de chair sanglante. Des squelettes entiers se dispersent en millions de paillettes nacrées. C'est ce que j'imagine. Je n'ai jamais été très bon en physique.

          Je-vois-je-vois-je-vois. Je vois au-delà, sans mes yeux, sans rien. L'air me quitte. La chair me quitte. Je me quitte. Je contemple distraitement mon corps ; il s'éparpille en une danse presque comique, sur deux échelles de temps divergentes qui se superposent. Je ne suis plus que deux points rouges qui flottent, indécis, dans la tombe terminale d'un peuple endormi. Et puis, je m'éveille. Sans le carcan de la vie, le temps n'a plus de sens à mon esprit. Évanouies, les limites du corps marquant la durée par le vieillissement des cellules, la nécrose des tissus, les pénibles battements du pouls. Je m'élargis dans ce nouvel espace offert.

          Une pulsation. Une autre. Et cela continue. L'univers palpite, et son martellement sourd m'est connu. Un battement, et une ineffable quantité de ces petites choses que sont les galaxies ont le temps de naître, grandir, et s'éteindre. Mon cœur bât, et la ville de la lune a déjà disparu ; de mon esprit aussi.






lundi 22 septembre 2014

Orange, au bûcher !

Texte un peu vieux, (environ âgé de 3 ou 4 ans), je l'ai retravaillé un peu, et je vous le livre tout de suite.
La lecture au second degré est fortement déconseillée. 

Orange, au bûcher !

          L’orange, fruit qui fut longtemps un symbole de Noël. Si vous vous plaignez de vos cadeaux, on vous assène le magistral « ton grand-père n’avait qu’une orange, et il en était très content ! » Mais je vous pose la question, comment est-ce possible ? Je veux dire, comment la naissance du Christ/la fête la plus prisée par les petits enfants/autre (cela dépend de votre/vos confession/confessions) pouvait-elle être souillée par ce fruit maléfique ? L’arbre de l’Enfer n’est pas le pêcher, comme tout le monde le pense. C’est l’oranger. Vous ne me croyez pas ? Vous verrez qu’a la fin de ma démonstration, vous aurez changé d’avis. 

          Pour mieux vous prouver l’horreur de ce fruit, je vais choisir d’y confronter un individu de race humaine dans l’un des univers les plus familiers à la majorité des jeunes gens. Pourquoi choisir cette catégorie de personnes ? Parce que je suppose en toute logique, que si mon lectorat jeune ne connaît pas encore la situation de l'âge moyen ou du grand âge, les lecteurs âgés ont tous étés jeunes, et seront donc capables s'identifier  à mon sujet de démonstration. Reprenons. Ce lieu que les scolaires fréquentent avec courage et courage : le self. Vous êtes-vous déjà retrouvé pressé dans la file d’attente d’un self ? Généralement, on y devient anxieux. Parce que l’heure tourne, que la file n’avance pas, que les personnes derrière sont pressées… C’est dans cet état de stress que notre sujet de démonstration arrive devant le fatidique autel des desserts. Il attrape ce qui lui tombe sous la main, à savoir la plupart du temps : une orange. Voila, l’homme à mis le doigt dans un engrenage infernale. Pourquoi ? Pourquoi une orange et pas un riz au lait ou un coulis de framboise lyophilisé et mal réhydraté ? Peut-être parce que la couleur attire l’œil, que la rotondité de ce fruit est agréable. Peut-être que le cerveau, ivre de messages délivrés par le ministère chargé de la santé publique et par les organismes cherchant à sauvegarder –même contre notre gré- les nôtres est poussé à ce choix. 

          Je m’explique : l’orange (citrus sinensis) est un fruit, plus précisément, un agrume, contenant la vitamine C (acide L-ascorbique). Ça au moins, c’est clair, merci Wikipédia. Et quels sont les messages évoqués plus haut ? « Mangez cinq fruits et légumes par jour » ; « Faites le plein de vitamine C » ; « L’orange protège du soleil, des cancers de la peau, des comédons et de la dipsomanie» ; etc., etc.… Un fruit, c’est bon pour la santé (ce qui est vrai, mangez des fruits !). Propagande, propagande.

          Toujours est-il que notre individu se retrouve en possession d’une orange. Le caractère démoniaque de celle-ci se traduit bien sur par sa couleur (ce n’est pas pour rien que les roux étaient brûlés au Moyen-âge, époque que nous savons éclairée par les raisonnements rationnels). Mais les premiers mouvements diaboliques se manifestent dès que l’individu transporte, confiant, son plateau vers une table formica, immonde mobilier bâti sur les débris d’un majestueux platane, tombé sous les coups rageurs des démoniaques bûcherons, fruitiers à temps partiel. L’orange, ronde comme l’œil hagard d’un pendu, roule sur le plateau et cogne agressivement de toute sa brutalité les autres habitants de la plaque en plastique. Si l’innocente assiette de verre trempé contient de la purée ou de la viande en sauce, l’orange bondit, et atterrit au beau milieu de la pièce de vaisselle, maculant les alentours de gerbes sombres. Le juron lâché par l’individu résonne comme un râle d’agonie sous la voûte d’une cathédrale. Le ciel ne peut donc plus venir en aide à ce malheureux blasphémateur. Première victoire de l’orange. 

          Après avoir nettoyé au mieux son plateau souillé, l’individu sent une idée s’instiller dans son esprit, bien sûr distillée par le terrible fruit. Pourquoi ne pas caler l’orange sur le verre cylindrique placé dans le coin supérieur droit du plateau ? Aussitôt pensé, aussitôt fait. Hélas ! Le poids de l’orange, associé aux mouvements de marche que subit le plateau font basculer le martyre fils de silice, qui chute, et éclate sur le sol en pluie de fragments scintillants. La nouvelle grossièreté retentissante et le bruit du corps disloqué du verre font converger vers l’individu regards et quolibets. Son visage s’empourpre, comme le soleil mourant d'un soir de carnage. Après la longue récupération de son orange, qui ayant atterri sans dommage s’était enfuie sous la table à l’autre bout du self, l’individu s’assied avec un soupir d’aise sur une chaise détrempée de par la main d’un facétieux congénère, qui ne doit pas manger que des pommes. L’individu se relève, se masse le crâne –rapport au coup pris sous la table au moment de la récupération de l’orange-, change de chaise et s’apprête à manger. L’orange posée sur la table s’enfuit de nouveau et attend le malheureux sur un sol remarquablement collant et sous une table particulièrement propice à la trépanation brutale.

           Après maint autres péripéties, notamment des réflexions désagréables sur l’état de ses vêtements, l’individu peut ENFIN se restaurer. Il se plonge avec délices dans une béatitude langoureuse de salade flétrie, de viande reconstituée et de légumes élevés sous cellophane, suivis d’un yaourt légèrement moisi. Et vient le moment du dessert. Avec un sourire (crispé) l’individu prend l’orange dans sa paume (moite). Il referme ses doigts dessus comme à regrets. Et l’horreur commence. Pour amorcer l’épluchage du fruit, il saisit un couteau, mais les tranchoirs du self, suite à un maléfice fruiteux ont perdu toute capacité incisive. Se croyant d’une intelligence certaine, il troque son couteau pour sa fourchette. L’orange pousse cette dernière à se planter violemment dans la main du pauvre supplicié. Sa fourchette, l’ami de toujours le soutenant contre vents et marées, est devenue au contact du démoniaque fruit la fourche de Satan ! Revenant à sa coquille de solen, et changeant de main,  il dérape de nouveau sur la sphère incandescente et estropie son autre menotte (car le couteau est redevenu tranchant tout spécialement pour lui). S’aidant de sa cuillère, il pratique enfin une encoche dans le cuir de la bête. Il l’élargit, puis, combattant de toutes ses forces ce machiavélique adversaire, il arrache un minuscule bout de peau, trophée inestimable.

           Après de longs et rudes combats, l’armure luciférienne gît à ses pieds. Le souffle rauque, notre homme constate avec horreur qu’une deuxième peau, blanche, entoure le démon tel un linceul de fausse pureté. S’il n’avait point d’ongles, il serait perdu, mais, miracle, il en possède encore quelques-uns. Il commence la délicate phase, dite, de l’épluchage. Des lambeaux de toile blanche volent en tout sens, se coincent douloureusement sous les ongles qui réclament à êtres curés toutes les quatre soixantièmes de minute. Si certains morceaux de cet épiderme demeurent soudés à la chaire infernale – l’arrachant en répandant son sang maudit aux alentours –, d’autres sont fins et retors, ne cherchant qu’à épuiser les forces du brave guerrier. Cette seconde enveloppe enfin arrachée, il lui faut encore séparer le pervers agrume en quartiers. Il enfonce ses doigts à l’extrémité du fruit (non sans avoir au préalable vai5ncu la muraille épaisse qui la protégeait) et il bande ses muscles pour fendre en deux son bourreau. Les chairs se déchirent de nouveau, déversant des litres de jus poisseux. Il lui faut ensuite enlever les filaments blancs, nerfs d’acier au cœur de l’orange satanique. L’individu tiens alors dans sa main inondée de sang sucré un misérable fragment d’orange au trois quarts déchiqueté. Avec félicité, il glisse cette nourriture dans sa bouche. Ses aphtes, ses morsures de joues, ses caries et ses lèvres gercées le mettent au supplice. Ses papilles hurlent sous l’acidité inhumaine qui les ronge. Si vous pensez que tout est – enfin – fini, c’est que vous avez oublié quelque chose : les pépins ! Car, dans l’ultime morceau comestible (par défaut) du fruit, il y a en moyenne quatre à sept pépins. Voulant les enlever, notre courageux soldat les isole de sa langue et glisse délicatement deux doigts dans sa bouche pour les récupérer. Ce faisant, le quartier d’orange broyé par les consciencieuses prémolaires dégouline le long de sa main. L’homme ouvre alors les yeux sur le monde qui l’entoure. Ses voisins de table le regardent étrangement, un monceau d’épluchures, tel un charnier répugnant, se dresse devant lui sur son plateau, ses vêtements et ses mains sont imbibés d'un jus acide, corrosif et collant. Il remarque alors le détail qui lui arrache son ultime blasphème, si terrible qu’il ferait s’évanouir un troupeau d’élans, car il a oublié de prendre des serviettes.
          
          Et pour parachever cette démonstration, basons-nous sur des chiffres et des lettres :          « Orange » s’écrit en six lettres. « Diable » aussi. Et remarquez que dans les deux mots, le « a » et le « e » sont aux mêmes places, les places 3 et 6. Et trois six donnent 666 ! 

          Notez également que les phonèmes désignant la progéniture de l'autophotolithotrophe peuvent également s'entendre ainsi : « or » - « ange ». Et comme chacun le sait, l'or, incarnant la richesse terrestre et la cupidité est la marque de la corruption. L'orange porte le nom de l'ange déchu, souillé, corrompu !

De plus :
« O »comme « Os des damnés s’entrechoquant dans le gouffre de l’Enfer »
« R » comme « Rugissement des ombres déambulant dans les entrailles du Tartare »
« A » comme « Ammoniaque fumant de la gueule répugnante du Malin »
« N » comme « haine »
« G » comme « Gutturale cri poussé par Belzébuth les soirs de lune sanglante »
« E » comme « Et avec tout cela, je ne vous ai pas encore convaincu ? »


dimanche 21 septembre 2014

Le Boulevard russe de ma mère (nouvelle)

 
 Elle est fraiche ma nouvelle, elle est fraiche !


Le Boulevard russe de ma mère

          Magnolia Street était un beau boulevard lorsque j'y habitais. Je n'y ai pas vu le jour, mais mes premiers souvenirs y prennent place. Ma mère m'a raconté qu'elle est venue s'y installer quelques temps après ma naissance. C'était un bel endroit, avec des trottoirs aux pavés lisses et brillants encadrant une frange de bitume propre au marquage impeccable. De grands arbres se dressaient dans leurs plates-bandes circulaires, et jetaient une ombre appréciable dans les longs jours d'été incandescents. J'aimais beaucoup ces arbres. Les bourgeons, le givre sur les branches, le feuillage pourrissant qui bordait le sol en automne me servaient de calendrier. Nous vivions dans une minuscule maison en plein centre du boulevard. C'est comme si quelqu'un avait compressé une modeste chaumière entre deux immenses immeubles, l'écrasant et la déformant jusqu'à ce qu'il ne subsiste qu'une mine tranche de bâtiment. Les quelques marches de bois du perron menaient à une porte laquée s'ouvrant sur le hall minuscule. Tout n'était que couloirs comprimés, salons étriqués, charpentes voûtées. Les précédents propriétaires n'avaient sans doute jamais contacté la moindre entreprise de restauration, et rafistolé les dégradations au fur et à mesure qu'elles survenaient, avec une efficacité discutable.

          Néanmoins, la vie m'y était agréable. Je grandis sans incident majeur, et l'absence de père ne me troubla pas outre mesure. Ma mère me choyait plus qu'aucun autre enfant ne l'a jamais été. Puis vint l'âge de quitter la maison. Je partis mener ma vie de mon côté, et ma mère resta à Magnolia Street, dans sa petite maison, trop vide à présent.


          J'arpente les rues de mon enfance. J'ai du mal à reconnaître cette ville. Tout a tant changé. Cela, je le sais, est la faute des russes. Ces maudits slaves ont déferlé sur notre pays par vagues d'immigration successives depuis vingt ans, et maintenant, ils parasitent et gangrènent tout le paysage urbain. J'essuie ma machette couverte de suc sur un buisson. Je distingue derrière une gerbe de hautes tiges la pancarte écaillée de Magnolia Street. Plus loin, une autre pancarte, neuve et bien exposée au sommet un poteau indique Магнолия-стрит. Les chênes et les ormes de mon enfance ont disparu, noyés par une forêt anarchique de mélèzes poussant en tous sens. Ces damnés russes ont tenu à emporter avec eux leur végétation locale, pour ne pas se sentir trop dépaysés qu'ils disaient. Et on a accepté, bêtement. À être trop permissif, on se fait bouffer tout entier. Rageur, je pénètre dans le boulevard en tranchant tout ce qui se dresse sur ma route. 


          J'arrive devant le perron de bois rongé de vers. Des airs de musique moscovite me parviennent d'un des appartements voisins. Je grince des dents, et frappe à la porte. Mon geste a provoqué un grand remue-ménage à l'intérieur, à ce que j'entends. Au bout de quelques secondes, ma mère ouvre, échevelée comme à son habitude.

─ Cosme, mon petit ! Ça fait une éternité ! Entre, voyons.


          Ma mère est toujours aussi belle. J'espère que les racailles du coin ne l'ont jamais importunée. Je la suis à travers ces couloirs familiers. Rien n'a changé. Comme c'est réconfortant ! Cette maison est et restera pour moi comme une bulle protectrice dans ce pays de dingues. Tandis que je m'émerveille sur la permanence de mon cocon de croissance, nous parvenons dans la cuisine mansardée. Là, en revanche, un changement manifeste est visible. Ce changement prend la forme d'un grand et gros homme légèrement vieillissant et barbu assis à la table. Tout sourire, il se lève péniblement en nous apercevant. Je me fige.

─ Maman, qui est-ce ? Un intrus ?


          J'espère secrètement qu'elle répondra par l'affirmative, auquel cas, je pourrais légitimement jeter cet individu dehors. Sa vue m'est désagréable d'emblée.

─ Non mon petit, c'est...
─Attends Julia, la coupe-t-il insolemment, je devrais m'expliquer moi-même.


          Là, je vois rouge.

─ Comment osez-vous couper la parole à ma mère ? hurle-je. Et l'appeler par son prénom ? Cela ne vous suffit pas d'envahir notre pays, encore faut-il que vous envahissiez nos demeures ? Oui, je vous ai reconnu, j'ajoute devant son air surpris, je vois bien que vous êtes un de ces maudits russes !


          L'autre est abasourdi. Ma mère ne dit pas un mot. Je me tourne vers elle.

─ Maman, je suis venu pour voir comment tu allais, et j'ai pu constater que ce quartier n'est plus digne de t'abriter. Je te demande de venir avec moi. Je te trouverai un logement dans le centre de Harrenbourg.
─ Qu'est-ce que tu me chantes mon petit ? Je ne veux pas partir.
─ Enfin, maman, ne me dis pas que tu te sens bien ici. Les alentours sont envahis de russes. Comment peux-tu supporter leur voisinage ? J'ai dû m'armer pour venir ici, dis-je en secouant ma machette, autant par peur d'être agressé que pour avancer dans cette végétation merdique.
─ Justement, je trouve que ces jardins style
taïga sont splendides. Écoute, je ne veux pas partir. Calme-toi, je dois te parler d'une chose importante.
─ Tu m'en parleras lorsqu'on sera dans la voiture.


          Je saisis le poignet de ma mère et fais mine de l'emmener vers la sortie. Le gros homme se trouve soudain devant moi.

─ Deux minutes petit. Tu ne crois pas qu'on devrait...
─ Quoi ? Tu cherches une raclée ? Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu fichais ici.


          Ma mère répond à sa place.

─ Il est venu me rendre visite, et comme cela fait longtemps que l'on ne s'était pas vu, nous avons fait suavement l'amour.


          J'en reste ébahi, comme frappé par la foudre.

─ Mais, mais, vieux dégouttant ! hurle-je en brandissant ma machette avec férocité. Vous allez regretter !
─ Voyons mon garçon, ta mère est assez grande pour faire ce qu'elle veut.
─ La ferme ! Tu feras moins de bruit lorsque je t'aurai coupé la tête !


          Je l'attrape par le col et je lève mon arme un peu plus haut. Deux voix s'élèvent.

─ Non Costia !


          Je suspends mon geste.

─ Qui ?


          L'homme se dégage de ma poigne.

─ Costia. C'est ton nom.
─ C'est quoi ces conneries ?


          Ma mère me prend par le bras.

─ C'est la vérité. Nous voulions t'appeler Costia. Mais peu après ta naissance, nous fûmes obligés de fuir la mère patrie. Ton père était engagé dans le parti contestataire, et les têtes du pouvoir voulaient le voir disparaître. Nous avons été séparés lors d'un raid des brigades, et j'ai fui le pays pour te sauver. Je t'ai enregistré sous un faux nom, mais tu es un russe pur souche Costia, mon petit Costia.


           Je suis cloué. Le vieux (mon père?) me tend les bras.

─ Réjouis-toi mon fils. Tu as retrouvé ta véritable identité en même temps que ton père. Nous serons heureux. J'ai apporté les boutures de multiples essences rares avec moi, ajoute-t-il en agitant un petit sac en papier.


          Je regarde ma mère et mon père. Le cœur me manque, une bouffée d'émotion monte dans ma gorge, et ma vision se trouble. La main qui tient mon arme tremble. Puis je passe à l'action. Je lance ma machette droit sur mon père, lui transperçant la rate, et pendant qu'il vocifère sur le sol, je fracasse la tête de ma mère hurlante contre le coin de la table. Puis je récupère mon tranchoir et décapite soigneusement mon père. Ensuite, je débite leurs corps sur la table, qui par chance, est recouverte d'une toile cirée. Je fouille à la recherche de sacs poubelles, et finis par en dénicher sous l'évier. Je descends dans le jardin mes géniteurs répartis dans cinq sacs bien ficelés, et j'entreprends de creuser une jolie tombe. Une fois leurs morceaux convenablement enterrés, je plante les boutures ramenées par mon père au-dessus, et je repars. 

Non mais !


samedi 20 septembre 2014

L'Abribus (théâtre)

Il y a un peu plus d’un an, j’ai écrit une saynète pour un récital de… saynètes justement. Finalement, la bourse à textes était bien pleine, et cette piécette n'y fut pas jouée.

Voici ce court dialogue intitulé très sobrement :



 
L'Abribus
 
Pièce pour deux personnages





1 – Bonjour.
2 – Bonsoir.
1 – Vous attendez le bus ?
2 – Oui.
1 – Comme moi.
2 – Mais en même temps, que peut-on faire d’autre sous un abribus ?
1 – Ho, plein de choses, lire un journal, coudre, dormir…
2 – Mais ce n’est pas exclusivement sous un abribus que l’on peut faire ces choses-là. Ce ne sont que des moyens de tuer le temps en attendant l’autocar.
2 – Tuer le temps ? Voilà un bon moyen de cesser de vieillir.
2 – C’est une expression.
2 – Je le sais bien, mais je délirais à haute voix.
2 – À voix basse, je vous aurais tout de même entendu. Nous sommes côte à côte.
1 – Enfin, il demeure un espace.
2 – Où ça ?
1 – Entre nos côtes.
2 – Ah, oui. C’est normal. L’homme est fait ainsi. Les côtes sont espacées pour former la cage thoracique. Si les barreaux d’une cage sont collés, ce n’est plus une cage, mais une boite.
1 – Je veux dire entre nos côtes à nous deux.
2 – Ho, en effet. Heureusement. Je n’ai pas la moindre envie de me coller à vous.
1 – Moi non plus. (un temps) Au fait…
2 – Attention.
1 – Quoi ?
2 – Faites attention à ce que vous allez dire.
1 – Pourquoi ?
2 – Vous dites « au fait ». Cela signifie que vous allez parler un sujet en rapport direct avec le précédent.
1 – Heu, non. Je n’en ai pas l’intention.
2 – Alors n’utilisez pas « au fait ».
1 – Ce n’est pas si grave.
2 – Si. Un tel emploi permettrait les plus folles bassesses. Vous dites « au fait », et vous ouvrez un sujet totalement différent du précédent tout en sous-entendant que c’est votre interlocuteur qui vient de vous y faire penser, alors que c’est vous et vous seul qui l’avez amené ! Cela permet d’orienter la conversation à votre gré sans porter la responsabilité du choix du sujet. Et c’est mal.
1 – Heu… d’accord.
2 – Vous n’avez rien compris ?
1 – Voilà.
2 – Peu importe. Mais pas de « au fait ».
1 – Très bien. Mais permettez-moi cette remarque.
2 – Laquelle ?
1 – Voici : lorsque je suis arrivé, je vous ai salué. « Bonjour » ai-je dit.
2 – « Bonsoir », ai-je répondu.
1 – Là est le problème.
2 – Je ne vois pas pourquoi. Il est plus de dix-neuf heures.
1 – Quand bien même, lorsque vous répondez « bonsoir » à mon « bonjour », vous semblez me corriger.
2 – Et ?
1 – C’est assez malvenu. La bienséance voudrait que l’on ne mette pas mal à l’aise celui qui le premier vous salue en lui faisant bien sentir son piètre choix de vocabulaire.
2 – Vous êtes facilement irritable
1 – Cela ne se résume pas à mon opinion. C’est une politesse élémentaire que d’être
courtois avec autrui.
2 – Si vous ne voulez pas prendre de risque, ne saluez pas.
1 – Ce serait alors moi qui manquerais de respect.
2 – Laissez l’autre saluer.
1 – Impossible. C’est toujours celui qui arrive qui doit saluer celui qui est déjà en place.
2 – Pourquoi ?
1 – Parce que le premier doit le respect au second en raison de son ancienneté.
2 – L’ancienneté ? Je suis arrivé ici cinq minutes avant vous.
1 – Peu importe, vous étiez le premier. Cette règle ne date pas d’hier.
2 – Vraiment ?
1 – Oui. Quand une tribu d’hommes primitifs arrivait sur un territoire déjà occupé, ils offraient cadeaux et salutations à la tribu en place pour qu’elle accepte la cohabitation.
2 – Ne dévions pas sur la politique. D’ailleurs, vous ne m’avez offert aucun cadeau en
arrivant.
1 – De nos jours, le système s’est modernisé. Un simple « bonjour » suffit. Quand il
n’est pas accueilli par un dédaigneux « bonsoir ».
2 – Vous n’allez pas ruminer ça des heures.
1 – J’espère que l’autobus sera là avant.
2 – En parlant de bus, pourquoi appelle-t-on ainsi les abribus ?
1 – On les appelle ainsi ? Moi je dis « abribus », pas « ainsi ».
2 – Je veux dire, d’où vient le nom « abribus » selon vous ?
1 – Eh bien, c’est un abri pour bus, comme un hangar.
2 – Et vous voyez un bus ici ?
1 – De toutes manières, l’endroit est trop petit.
2 – La fonction de cette structure me semble plutôt tournée vers les usagers du bus.
1 – Encore faut-il savoir où se situe sa figure.
2 – Pardon ?
1 – Eh bien oui, pour voir vers quoi elle est tournée.
2 – Considérons donc que cet appentis est destiné à nous protéger.
1 – Mais de quoi ?
2 – Des intempéries.
1 – Mais il ne pleut pas, c’est tout à fait inutile !
2 – Mais lorsqu’il pleut, c’est efficace.
1 – Sauf qu’il faut qu’il pleuve.
2 – En effet, l’abribus dépend de la pluie pour prouver son efficacité.
1 – Je préfère autant ne pas m’abriter et qu’il ne pleuve pas.
2 – Il est vrai que la liberté de mouvement est plus grande.
1 – « Abribus »… ne serait-ce pas plutôt pour nous abriter du bus ?
2 – Comment ça ?
1 – S’il dérape, ou qu’en sais-je... Nous serions à l’abri du bus fou.
2 – Ce n’est pas ces trois planches qui arrêteront un bus emballé.
1 – Dans du papier ?
2 – Laissez tomber.
1 – Mais nous pourrions nous cacher derrière. Et ainsi, le bus fou ne cherchera pas à
nous écraser, puisqu’il ne nous verra pas.
2 – Mais si nous nous cachons, le chauffeur du bus ne nous verra pas non plus et
nous ne pourrons pas monter.
1 – Sur le chauffeur ?
2 – Non, dans le car !
1 – Bus ou car ? Faudrait savoir.
2 – S'il a des soutes c'est un car, sinon, c'est un bus !
1 – Ils devraient construire des véhicules avec des demies-soutes que l'on pourrait nommer "car" ou "bus" selon nos envies. Cela éviterait pas mal de conflits.
2 – Définitivement, je suis convaincu que l’abribus sert à protéger les usagers de la pluie.
1 – Quels sont ces usagers ?
2 – Et bien, vous, moi…
1 – Ah, pardon, mais je ne suis pas usager.
2 – Plaît-il ?
1 – Non, car je ne suis pas encore dans le bus. Une fois entré, et mon ticket payé,
oui, là, je serai usager.
2 – En effet, c’est bien raisonné.
1 – Donc, nous ne sommes pour l’instant pas usagers.
2 – Je le reconnais.
1 – Mais vous pensez également que l’abribus sert à protéger les usagers de la pluie.
2 – Oui.
1 – Conclusion, s’il se met à pleuvoir, nous ne serons pas abrités, car nous ne
sommes pas encore usagers.
2 – Bon sang, mais c’est vrai !
1 – Pourvu qu’il ne pleuve pas.
 
 
 
 

vendredi 19 septembre 2014

La Distinction du mage (poésie)

Une poésie, ce coup-ci, histoire de continuer à varier les genres. Je publie rapidement pour démarrer, en essayant de réguler le débit, afin d'étoffer le blog. Rien n'est plus triste qu'un frigo vide. Enfin, voici un poème assez récent (il a deux semaines). Cinq sixains d'alexandrins classiques en rimes suivies. Bonne lecture !

La Distinction du mage






« Qui pourrait se vanter, d'ici et par le monde
D'être l'égal d'Humphray, qui les dieux seuls seconde ?
Pour se tenir debout aux côtés du grand mage,
Qui serait assez fort ? Qui serait assez sot ?
Qui pour lui disputer les glands ornementaux
Qui parent son habit d'un rutilant sillage ?

Qui oserait braver les tortures sans nombre
Frappant qui, seulement, marcherait sur son ombre ?
Nul ne peut contester l'implacable puissance
De celui qui, ce soir, se tient sur cette estrade,
Celui qui, à lui seul, vaut bien mille pléiades
Et les supplanterait de sa luminescence.

Un mage et un savant, la sagesse d'un roi,
Un général hors pair, il n'est pas que cela.
Un soir, moi, je l'ai vu, Humpray, battant l'épée,
Devant les murs tombés du Château de Grenaille ;
Ayant laissé ses sorts pour un fer de bataille
À cent contre un encor, il semblait l'emporter. »

Ces mots s'entrechoquaient dans la cour de Grenaille,
Et embaumaient les corps gisant sur la rocaille ;
On oubliait un temps les afflictions du deuil.
On oubliait les cris montant en contrebas ;
Le château éventré attendait le combat,
Et l'on fixait Humphray, courbé dans un fauteuil.

Mais malgré le héraut clamant sa logorrhée,
Malgré les vieux soldats, pour la moitié blessés
Qui contemplaient leur chef en cramponnant leurs vouges,
Humphray restait assis, et nul ne l'appelait.
Vingt minutes plus tôt, tous avaient vu la plaie
Qui ornait son haubert d'une médaille rouge.

*
Voici le creuset où tournent d'hétéroclites écrits, allant de la nouvelle au pamphlet, en passant par toute une gamme de formes littéraires (poésies, saynètes, spicilèges, diatribes, réflexions plus ou moins profondes).


Mon appétit est ─pour le moment─ trop immense pour me restreindre sur la question des genres.